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Un quart d'heure avec le penseur
20 avril 2020

La Crise du Covid-19, une crise de l’accélération


Illustration coronavirus et accélération

Tout s’accélère. L’accélération de la vitesse, – vitesse de production, vitesse de communication, vitesse des échanges – est devenue le leitmotiv, le totem, la clé de la modernité. Avec l’avènement de la mondialisation et des nouvelles technologies, nous sommes entrés dans un monde régi par un principe d’accroissement permanent de la vitesse. Or, tandis qu’en physique l’accélération peut être aussi bien positive – lorsque le conducteur d’une voiture fait croître sa vitesse – que négative – lorsque dans un virage le conducteur décélère – il semble que toute la machine économique et sociale planétaire ait choisi de ne reconnaître comme valide que l’accélération positive. Autrement dit le processus de la mondialisation est conduit comme un bolide qui n’aurait d’autre choix que d’accélérer en permanence la vitesse de ses échanges, et à qui toute forme de décélération serait interdite.

Cette logique de conduite qui, en elle-même, est extrêmement risquée et dangereuse ne pouvait que mener à la catastrophe. On n’imagine pas, en effet, un conducteur qui n’aurait pour idée que de faire croître sa vitesse, y compris dans les virages. C’est pourtant ce que les grands acteurs de la mondialisation ont choisi de faire. Ignorants des risques de surchauffe du moteur, méprisants à l’égard des passagers dans la voiture, inconscients des dommages irréversibles qu’une telle politique de conduite pouvait générer, les Fangio de la globalisation ont choisi, par avidité et parce qu’ils se sont toujours refusé à limiter leurs profits – de conduire le bolide de la mondialisation sans aucune précaution. Résultat, après plus de vingt-cinq ans d’accumulation de richesses indécentes mais aussi de crises à répétition, la « voiture mondiale », conduite par les chauffards de la finance, vient de verser dans le fossé, sans que l’on sache très bien comment elle va repartir. La mondialisation est à l’arrêt.

Car l’affaire de la pandémie du Covid-19 n’est pas un simple accident, il ne s’agit pas d’une petite embardée, d’une petite crise « boursière » à laquelle le capitalisme nous avait habitué. Tout le monde sent bien que se joue là quelque chose de très profond qui renvoie à la question de la représentation que nous nous faisons du temps, de la vie, de la mort. Autant de questions existentielles que le rythme effréné de la mondialisation avait eu tendance à nous faire oublier. Quel lien profond existe donc entre mondialisation et accélération ? Dans quelle mesure Emmanuel Macron est-il le représentant type des chantres de l’accélération ? Comment le culte de l’accélération a-t-il contribué à répandre le virus ? N’est-il pas temps, enfin, de décélérer, de retrouver la maîtrise du temps afin de reprendre en main notre destin collectif ?

Mondialisation et accélération

Si l’innovation technique est au cœur de la dynamique du capitalisme depuis la fin du XVIIIeme siècle et la première révolution industrielle, il faut bien reconnaître qu’avec la mondialisation et la révolution des nouvelles technologies, – ce que l’on a appelé la révolution numérique – un cap a été franchi, en matière d’accélération, de bouleversement des rythmes économiques et sociaux. Ce que l’on a vu émerger, en effet, avec internet, les algorithmes, la société uberisée, c’est une nouvelle forme de société marchande avec ses profits gigantesques, réalisés, en un temps record, partout sur la planète. Quelle est aujourd’hui la salle de marché qui n’est pas dotée d’algorithmes surpuissants ? Quel est le grand capitaine d’industrie qui ne rêve pas de marchés à conquérir à grande vitesse ? Quel est le décideur qui ne se sent pas freiné dans sa soif de conquête par les limites anciennes, forcément « rétrogrades » imposées à l’économie ?

Tous les grands acteurs de la vie économique moderne cherchent à contracter le temps pour maximiser leurs profits. Tous cherchent à aller plus vite que leurs concurrents, à les dépasser dans la course au profit. Ils sont prêts pour cela à s’affranchir de toutes les barrières, à ne respecter aucune limite de vitesse. « No limit », « pas de temps à perdre », « fonçons », c’est le nouveau mantra des décideurs à l’heure de la mondialisation heureuse.

Heureuse cette mondialisation ? Peut-être pas pour les peuples car, pour parvenir à mettre en place cette société du marché mondial instantané, des bénéfices stratosphériques, il a fallu desserrer tous les freins, diluer toutes les protections sociales anciennes. Pour adapter chaque société à la logique marchande du profit immédiat, les protections territoriales, nationales ont été abaissées mais aussi les protections sociales. Les logiques comptables des institutions mondiales, les fameux « ajustements structurels » du FMI ont été appliqués sans ménagement à l’ensemble des pays, partout sur la planète.

Plus de frontières, plus de droits de douane, mais aussi plus de codes sociaux ou des codes sociaux simplifiés. Pour aller plus vite on a imposé aux peuples d’enlever le frein à main, mais aussi la ceinture de sécurité. En France, par exemple, des réformes sociales de plus en plus violentes – réforme du secteur de santé, réforme du travail, réforme de l’assurance chômage, réforme des retraites –, réclamées par l’Union européenne et exigées par les grandes instances mondiales ont été imposées au nom de l’orthodoxie libérale, de la « bonne gouvernance » et de la bonne gestion. Ainsi c’est tout le système social français qui a été passé à la centrifugeuse, au « vortex » de la mondialisation » au point de livrer les salariés, nus, sans défense, désespérés face aux intérêts financiers mondialisés.

Macron : le président de l’accélération

Emmanuel Macron n’est pas, en ce sens, seulement le « président des riches », obsédé par l’idée de renvoyer la balle à ceux qui l’ont fait élire en 2017, il est aussi et plus profondément le président de l’accélération. Ce n’est pas un hasard s’il s’est fait élire sur les thèmes de l’innovation et du progrès car dans son schéma de compréhension du monde « innovation et progrès » ne sont que l’expression d’un seul et même mouvement global d’accélération auquel il adhère profondément. En Marche, le parti qu’il a fondé aurait dû bien plutôt s’appeler « En Course », car c’est de course qu’il s’agit. Course contre le temps, contre les acquis sociaux du passé, contre les corps intermédiaires, contre les maires, les syndicats, les « gens qui ne sont rien », les « gilets jaunes », bref contre tout ce qui peut freiner la divine accélération… des profits. L’accélération pour Macron, c’est le moteur de l’histoire, son sens ultime résidant dans la « mondialisation heureuse » et le « Gouvernement mondial fédéral » 1.

On n’a pas assez noté dans les discours macroniens la référence permanente au thème de l’accélération 2. Ainsi dans sa profession de foi de 2017, Mon contrat avec la nation il déclare : « je veux […]  bâtir avec vous une France qui innove, une France qui libère pour ne plus être bloquée par des règles obsolètes,[…] je veux accélérer l’émergence d’un nouveau modèle réconciliant transition écologique, industrie du futur et agriculture de demain, favoriser la construction d’ « une société de mobilité plutôt que de statut ». Tout un programme de dérégulation sociale destiné à favoriser les profits et les investissements privés. Car derrière les poncifs d’apparence lyriques, ce sont les vieilles lunes de la novlangue prospectiviste et du discours néolibéral qui fonctionnent à plein régime.

De même on n’a pas assez vu que son ouvrage Révolution (2016) ne consistait qu’en une adaptation au goût du jour de l’ouvrage de Toffler, Le Choc du futur ainsi que des prophéties de son maître Jacques Attali. Dans Le Choc du futur Toffler consacre tout un chapitre au « processus général d’accélération » qu’il dépeint comme une nécessité incontournable. A l’instar du peintre italien futuriste Marinetti – qui bascula en son temps dans le fascisme –, il vouait même une sorte de culte à l’accélération, synonyme de richesse et de modernité. La révolution que Macron se faisait fort d’accompagner par une série de réformes audacieuses c’était donc tout simplement la révolution opérée par l’accélération croissante liée au processus de la mondialisation. Une manière somme toute assez « chic » de faire du libéralisme « choc » tout en se présentant comme un homme de progrès. En s’inspirant de la réflexion des accélérationnistes anglais comme Nick Srnicek et Alex Williams et leur Accelerate, Manifeste pour une politique accélérationniste (2013), l’ancien banquier d’affaires a pu cyniquement se positionner comme un homme de gauche moderne, mener une politique antisociale « et en même temps » ringardiser tous ses adversaires.

C’est en ce sens qu’il faut comprendre la première grande réforme « progressiste » macronienne rebaptisée « réforme El khomri » qui était, en réalité, pilotée par Macron lui-même. Cette réforme allait au sens de Srnicek et Williams « libérer les forces productives latentes » 3. En bon élève du libéralisme moderne le disciple de Jacques Attaliconsidérait le code du travail 4 comme un frein à l’emploi, il l’a donc fait considérablement « maigrir », sans qu’aucun gain d’emploi n’ait été observé, c’est même le contraire qui s’est passé . Mais ce n’est pas grave quand on est un progressiste, le JFK français, encensé par les medias, on peut tout dire et tout faire – rien ne prête à conséquence. C’est aussi dans cette perspective qu’il faut comprendre sa réforme des retraites.Les retraites et les retraités ont été analysés par le logiciel macronien comme un poids, un frein au développement économique. Il s’agissait donc d’appauvrir nos aînés pour libérer les énergies, relancer la machine. Rien ne devait ralentir la course effrénée du bolide Macron, surtout, pas les limitations de vitesse – ces dernières n’étant destinées qu’aux pauvres, aux « Gilets jaunes » 5 et autres ploucs de province ! Emmanuel Macron c’est le « Roi de la route » chanté par les VRP 6 !

Accélération de la pandémie

A force de vouloir conduire toujours pied au plancher Emanuel Macron aura envoyé la France dans le décor. Contre le Covid-19 Il n’a pas voulu contrôler les frontières car cela aurait été un frein au business et n’entre pas dans le cadre du logiciel de pensée moderne, mondialiste et prospectiviste. Il n’a pas voulu non plus protéger la population en la dotant du nombre de masques nécessaires car cela n’aurait été que du protectionnisme appliqué à la santé et l’on sait à quel point le protectionnisme, l’idée même de protection (sociale ou autre) est vouée aux gémonies par les tenants de l’accélération à tout crin. De même il a abandonné les vieillards dans les Ehpads mais cela est parfaitement logique car les vieillards n’appartiennent pas au logiciel de la « France du futur », conquérante, dynamique, créative, consommante. Les vieillards c’est le passé, c’est ce qui est ringard, « has been », ce qui doit disparaître. On pouvait donc dans le cadre de la pensée prospectiviste les tenir pour quantité négligeable. Que le virus circule dans les Ehpads à grande vitesse et que le gouvernement n’ait rien fait pour endiguer la pandémie ne procède donc pas d’un « retard à l’allumage » – comme cela est dit dans les médias qui font ce qu’ils peuvent pour sauver le soldat Macron – mais d’une volonté politique qui ne prend en considération que l’avenir, le futur et méprise très profondément le passé.

Dans Révolution Emmanuel Macron consacre d’ailleurs plusieurs pages à sa grand-mère qu’il dit avoir beaucoup aimée et au sujet de qui il affirme qu’il ne se passe pas un seul jour sans qu’il voie son visage. On aurait bien envie de lui demander ce qu’il voit en ce moment. Quoi qu’il en soit on voit les limites de la pseudo-pensée du futur appliquée au réel. Dans le cadre d’une crise sanitaire, comme dans tous les autres cas, elle amène les décideurs qui l’utilisent à minimiser les risques, à ne pas prendre sérieusement en considérations les dangers auxquels le corps social est exposé. Au nom de la nécessaire loi de l’accélération permanente on se réfugie dans la logique du déni et on ouvre la voie à la catastrophe. En début de crise, dans le discours du 12 mars, Macron refusait de parler de confinement car cela n’aurait pas été bon pour le business. Puis un mois plus tard dans le discours du 13 avril, il envisage un déconfinement rapide alors que toutes les sécurités sanitaires ne sont pas en place : absence de masques et de tests en nombre suffisants, réouverture des écoles dans des conditions incertaines etc... Mais, au fond peu importe, car ce qui compte c’est d’accélérer, ou plutôt de réaccélérer.

Le totem de l’accélération est au cœur du raisonnement et de l’action publique soit qu’on décide de ne pas prononcer le terme de confinement soit qu’on décide de procéder à un déconfinement le plus rapide possible, quitte à se retrouver ensuite face à une deuxième vague de contamination…

Il est intéressant de noter que même des décideurs étrangers qui n’ont pas eu la formation philosophique macronienne sont eux aussi empêtrés dans le problème de l’accélération. C’est parce que le gouvernement chinois craignait un ralentissement de son économie qu’il a choisi, dans un premier temps, de cacher la gravité de l’épidémie. C’est parce qu’il ne voulait pas ralentir le business que Trump n’a pris aucune mesure de protection sérieuse face au Covid-19. C’est pour la même raison que le président américain appelle aujourd’hui à un déconfinement rapide : non pas « America first » mais « business first ». C’est aussi pour cela que les dirigeants italiens, espagnols, anglais ont tous réagi avec retard. Au fond cette petite « gripette » ne pouvait, ne devait pas ralentir le business mondial. Prisonniers de l’accélération liés à la mondialisation dont ils ont tant vanté les mérites, les décideurs modernes ont révélé les terribles failles de leurs raisonnements. Ils n’ont pris que de mauvaises décisions car dans leur langage, l’accélération négative, la décélération, est impossible, interdite même : leurs peuples respectifs en payent le prix. Trump, Macron, Bolsonaro, Sanchez, Johnson, Conte, Xi-Jinping, même combat !

Apprendre à freiner

Il ne fait aucun doute qu’en sortie de crise les décideurs mondiaux proposeront donc non pas moins mais plus de vitesse. Très vite ils voudront remettre en marche le moteur de la mondialisation, ses échanges effrénés et ses projets de « bonne gouvernance », de « Gouvernement mondial ». Ce qui nous sera donc proposé c’est plus d’Europe néolibérale, plus de « Global government ». Les chantres de l’accélération ne changeront pas leur logiciel. Ils voudront faire redémarrer la voiture sur les mêmes bases ou bien – s’ils acceptent des modifications –, ce sera simplement pour aller plus vite, pour foncer à nouveau, à pleine vitesse, vers l’idéal frelaté de la globalisation uniforme, totalitaire.

A ce sujet il est intéressant de noter que Jacques Attali, le mentor d’Emmanuel Macron, a émis l’idée, dans un article publié dans l’Express, que le projet du « Gouvernement mondial » serait certainement mieux accepté par les peuples à l’occasion d’une pandémie mondiale 7. Quant à Bill Gates, il a dit sensiblement la même chose dans une conférence TED 8qu’il a consacrée au problème de notre capacité de résistance à une épidémie de niveau mondial. Ces décideurs, gourous du futur et autres acteurs de la mondialisation ne renonceront jamais à leurs projets, même si ces derniers conduisent à des échecs profonds. Pire, ils trouveront dans les désastres et les crises liés au phénomène de l’accélération une occasion d’en demander toujours plus.

C’est donc aux peuples de réagir, c’est à eux de prendre en main leur destin. Pour une fois l’occasion leur est donnée, avec cette tragédie du Covid-19, de faire une pause, de réfléchir, de savoir exactement dans quelle direction ils veulent aller. Vers toujours plus de mondialisation ou vers une démondialisation progressive ? Vers un Etat fédéral mondial totalitaire ou vers un Etat communal recentralisé, à visage humain, pour chaque pays ? Vers un futur incertain, immaîtrisé et triste ou vers un présent autogéré, humanisé et joyeux ?

Sans prise de conscience des peuples, à l’occasion de l’épreuve du confinement et du déconfinement mondial, sans réflexion approfondie non pas pour arrêter – ce serait trop beau – mais pour ralentir le système et proposer une réorientation totale de ce dernier, il n’y aura pas de véritable sortie de crise. Nous connaîtrons alors le destin de Jean-Louis Trintignant dans le film de Dino Risi, Le Fanfaron. A la fin du film, Vittorio Gassman qui a pris tous les risques sur la route avec sa voiture finit par faire une embardée fatale. Il s’en sort mais Jean-Louis Trintignant, qu’il a embarqué avec lui, meurt dans l’accident. Essayons de nous éviter cette fin cruelle !

 

Michael Paraire le 19/04/2020

 

  1. Voir Jacques Attali, Demain qui gouvernera le monde ?, chap.9-10. C’est dans ces deux chapitres qu’est abondamment développé le projet futuriste du « Gouvernement mondial fédéral ».

  2. Dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron il est question notamment « d’accélérer le travail parlementaire », de créer un « accélérateur » d’associations pour nos aînés et les plus faibles, d’ « accélérer la construction de logements » et, bien sûr, d’ « accélérer l’intégration ». Sans blague !

  3. Dans leur Manifeste accélérationniste Srnicek et Williams appellent à dépasser le point de vue « ringard » de l’ancienne gauche, localiste, horizontaliste, d’action directe pour embrasser la plate-forme matérielle du néolibéralisme et s’élancer, à partir d’elle « vers une société postcapitaliste ». Du pain béni pour Emmanuel Macron

  4. L’idée de déréguler le monde du travail vient du fameux « Rapport Attali » ou « Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française », 2008, dont Emmanuel Macron fut le rédacteur.

  5. A bien des égards le mouvement des Gilets jaunes apparaît comme un mouvement de résistance à l’accélération contemporaine, à la mondialisation et à la révolution numérique.

  6. Les VRP, « Le Roi de la route », 1989. https://youtu.be/zglg3WiNhcw

  7. Jacques Attali, L’Express, 06/05/2009. Dans cet article après avoir insisté sur l’idée que la peur de la pandémie était un élément moteur pour réagir de manière altruiste, il conclut, afin d’optimiser tous les moyens de soin, à la nécessité : « de mettre en place une police mondiale, un stockage mondial et donc une fiscalité mondiale. On en viendra alors beaucoup plus vite que ne l’aurait permis la seule raison économique, à mettre en place les bases d’un véritable gouvernement mondial ». Dans un style très foucaldien il conclut : « C’est d’ailleurs par l’hôpital qu’a commencé en France, au XVIIeme siècle, la mise en place d’un véritable Etat ».

  8. La conférence de Bill Gates date de 2015. Elle est intitulée « La Prochaine épidémie ? Nous ne sommes pas prêts ». Il s’agit d’une conférence TED disponible sur internet.

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