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Un quart d'heure avec le penseur
20 mai 2020

La Crise du covid-19 : société de défiance contre société de confiance

Illustration rose bouteille poignée de mainDéfiance ou confiance, hostilité ou amitié, égoïsme ou entraide, La Rose, la bouteille et la poignée de main ou la Chanson pour l’Auvergnat ? Avec la société du covid-19 nous sommes entrés dans une ère de turbulence sociale qui s’annonce également comme une heure décisive : l’heure des choix. Il va falloir choisir, en effet, le type de société que nous voulons rebâtir ensemble. Rebâtir, car il est clair que quelque chose a été sinon détruit, au moins abîmé. Nous n’évoluons pas dans les ruines fumantes d’une situation apocalyptique, nous ne marchons pas, comme d’autres pays, victimes de politiques interventionnistes criminelles, au milieu des gravats des immeubles ni des canalisations éventrées. Non, chez nous ce qui a été abîmé, c’est la conscience collective, la psychologie de masse, l’image que nous ne faisons des uns et des autres, le fameux « vivre ensemble » dont on nous rebat sempiternellement les oreilles. Ce vivre ensemble était déjà profondément entamé, pour ne pas dire plus, mais avec l’épidémie de covid-19, il est encore plus profondément corrodé.

 

Car, ne nous y trompons pas, le risque chez nous, comme dans la plupart des pays occidentaux technologiquement avancés, est d’abord psychologique, plutôt qu’immédiatement économique. Il y a certes des risques d’affaiblissement durable de l’économie française et européenne, mais ce n’est pas l’essentiel. Nos économies ne sont pas dans l’état de l’Allemagne d’après-guerre, « l’Allemagne année-zéro », qui avait nécessité la mise en place d’un plan Marshall. Par ailleurs, nos dirigeants qui ont à peu près tout raté dans la gestion sanitaire de l’épidémie, ont commis moins d’erreur dans le traitement économique de la crise. L’argent de la BCE coule à flots sur les banques privées – moins sur les comptes des épargnants, mais on a l’habitude – pour garantir les prêts aux entreprises, les aides aux entreprises en difficulté, contraintes de fermer boutique pendant le confinement, ont été débloquées massivement, au moins en principe. Par ailleurs l’épargne française, les fameux « bas de laine », est encore là et nous prémunit, pour quelques temps encore, contre un effondrement économique total.

 

Mais ce que l’épidémie de covid a profondément entamé, c’est un ressort essentiel de l’économie : la confiance. On nous a suffisamment répété que l’économie reposait sur la confiance, que sans la confiance, par exemple, des ménages dans l’avenir, l’économie était en berne. Tout cela est vrai. Mais dès lors que le ressort psychologique de l’économie se distend, voire se brise, que peut-il se passer ? Pouvons-nous, du fait d’un manque d’interaction sociale et d’une confiance abîmée, aboutir à un choc psychologique et social systémique qui aurait pour conséquence de produire, à son tour, un choc systémique au plan économique ? Le problème se pose avec d’autant plus d’acuité que ce gouvernement, c’est le moins qu’on puisse dire, n’inspire aucune confiance. Non seulement le peuple français, qui l’a vu échouer dans la crise, s’en défie, mais il semble que le gouvernement lui-même se défie du peuple dont il entend résolument mater par le vote d’une série de lois et de mesures scélérates les velléités, pourtant légitimes, de contestation.

 

« Loi Avia », pour limiter l’expression de la parole libre sur les réseaux sociaux, système de traçage numérique « Stop-covid » pour espionner les malades, proposition de signalement aux autorités administratives de l’Education nationale, des familles ou des enfants dont les propos ne seraient pas favorables au gouvernement, achat de 650 drones pour surveiller la population. Il est évident que se renforce sous nos yeux, en temps réel, un arsenal coercitif de mesures liberticides qui concourt à renforcer notre hypothèse de la constitution d’un fascisme de type nouveau, le « fascisme 2.0 ». Mais, en attendant que ce système ne se mette définitivement en place, en attendant que se renforce également ce que l’on pourrait appeler la « société de défiance », comment analyser ce basculement progressif qui semble s’accélérer ? Quels sont les risques de basculer dans une société impossible à vivre, proche de celle décrite par Georges Brassens dans La Rose, la bouteille et la poignée de main ? Est-il encore possible de repenser les bases de la « société de confiance » 1 pour retrouver l’esprit d’une autre chanson de Brassens, La Chanson pour l’Auvergnat ?

 

La société de défiance : la rose, la bouteille et la poignée de main

 

La Rose, la bouteille et la poignée de main raconte les désillusions d’un homme désireux d’aller vers les autres, mais qui se trouve en butte à une société qui refuse tout contact. Ainsi le narrateur commence-t-il par tenter de fleurir le « corsage » d’une belle jeune femme avec une rose « tombée de la gerbe d’un monument aux morts ». Sensible, il la recueille « sans remords », « car c’est une des pires perversions qui soient que de garder une rose par devers soi ». Mais, tandis qu’il s’approche de la première jeune fille, celle-ci détourne sa tête « avec mépris ». La deuxième prend peur « s’enfuit et court encore, en criant au secours ». Si la troisième « lui a donné un coup d’ombrelle sur le nez », « la quatrième, c’est plus méchant, se mit en quête d’un agent ». En matière de défiance le narrateur est servi.

 

Il n’est cependant pas au bout de ses peines et bientôt c’est une « bouteille » qu’il trouve « tombée de la soutane d’un abbé », « bouteille de vin fin, millésimé, béni, divin ». Là encore, tout à son enthousiasme, il reprend sa route dans l’espoir de trouver « un brave gosier sec pour l’aider à la boire », car « c’est une des pires perversions qui soient que de garder un vin béni par devers soi ». Pourtant, rien n’y fait, alors que le premier passant refuse son verre, le deuxième lui dit «  railleur, de s’en aller cuver ailleurs ». Si le troisième « sans retard, lui jette au nez le nectar », le « quatrième, c’est plus méchant, se mit en quête d’un agent ». L’ombre de la répression policière pèse de plus en plus sur le narrateur et la défiance augmente.

 

Enfin, n’ayant pas renoncé, le chansonnier reprend sa route. Croisant « une poignée de main, gisant, oubliée en chemin, par deux amis fâchés à mort », il entreprend de la recueillir « sans remord » avec l’ « intention » de faire circuler la « virile effusion » car « c’est une des pires perversions qui soient que de garder une poignée de main par devers soi ». Pourtant les déboires se multiplient encore. Le premier passant, à qui la main est tendue, lui dit « Fous le camp, j’aurais peur de salir mes gants ». Le deuxième d’ « un air dévot lui donne cent sous d’ailleurs faux ». Si le troisième « ours mal léché » dans sa « main tendue a craché », « le quatrième, c’est plus méchant, se mit en quête d’un agent ». Et Brassens de conclure « on est tombé bien bas, bien bas ».

 

A l’heure où les personnes n’osent plus se serrer la main, alors que les restaurants, les cafés, les cinémas peinent à rouvrir et tandis que les relations humaines se détériorent à vue d’œil, on devine quelque chose de prophétique dans cette chanson de Brassens. La société décrite dans La Rose, la bouteille et la poignée de main c’est la société du covid-19 où tout le monde se défie de tout le monde, où la moindre interaction sociale prend des allures d’agression caractérisée, où le plus petit geste est compris comme une mise en danger potentielle. Nombreux, aujourd’hui, sont celles et ceux qui ne veulent pas voir à quel point la pandémie a abimé notre société. Nous sommes passés d’un état psychologique où l’on affectait de mépriser une petite « grippette », à un état d’alarme – par ailleurs compréhensible – ou la moindre interaction sociale prend des allures de risque systémique pour l’individu.

 

Or, si l’on se met à voir en l’autre, en n’importe quel autre, non pas un « égal », « un citoyen », « un individu normal » mais une menace sanitaire, c’est tout le projet social, le fait même de la société occidentale, relativement ouverte, qui se trouve remis en question. Aristote avait raison de dire que nous sommes des animaux sociaux, politiques, des « zoa politika ». C’est tout à fait vrai. Mais que se passe-t-il, encore une fois, lorsque la confiance dans la rencontre de l’autre ou le moindre geste social disparaît ? C’est potentiellement tout le système social qui se trouve remis en question. Or, c’est selon nous là que gît le plus grand risque systémique. Il n’y aura pas de reprise économique durable dans une société ou règne sans partage la défiance et où l’ombre de l’Etat policier pèse sur tous les rapports sociaux : « on est tombé bien bas, bien bas ». C’est d’ailleurs tout le paradoxe de ce gouvernement que de gâcher par des politiques de contrôle policier, de répression numérique à tout va, les décisions, plutôt correctes, qui ont été prise au niveau économique. La défiance de l’Etat pour son peuple, largement incarnée par Emmanuel Macron, transparaît jusque dans le vocabulaire sanitaire. On parle de gestes « barrières », là où l’on devrait parler, pour être plus bienveillants, de gestes « protecteurs », de distanciation « sociale » là où l’on devrait évoquer, plus simplement, une distanciation « physique ».

 

Tout dans la novlangue de ce gouvernement trahit la paranoïa sécuritaire, le poison de la défiance et de la méfiance à l’égard du peuple. Il n’y a pourtant pas de solutions en dehors du peuple. C’est au peuple qu’il faut faire confiance pour sortir de la crise, non aux décisions des technocrates bornés et impuissants. La fameuse société de confiance ne viendra pas d’en haut, d’une hypothétique décision présidentielle – ce dernier ayant déjà fait ses preuves en matière de mépris à l’égard des « gens qui ne sont rien ».

 

Mais alors, dira-t-on, comment sortir de la crise, car la confiance du peuple ne se décrète pas. Il faut qu’elle se reconstruise, qu’elle franchisse des obstacles importants puisque, comme nous l’avons vu, le peuple lui-même est pour une part empêtré dans la défiance. Pour donner une réponse à cette question nous nous proposons de suivre une autre chanson de Brassens, la Chanson pour l’Auvergnat, qui est en quelque sorte l’antithèse de La Rose, la bouteille et la poignée de main.

 

La société de confiance et la Chanson pour l’Auvergnat

 

Plus connue que La Rose, la bouteille et la poignée de main, la Chanson pour l’Auvergnat met en scène trois personnes qui agissent exactement à l’opposé des passants de la première chanson. L’auvergnat, tout d’abord, est un homme « sans façon » qui a donné au narrateur, « quatre bouts de bois » quand « dans sa vie il faisait froid », « qui lui a donné du feu quand les croquantes et les croquants, tous les gens bien intentionnés lui avaient fermé la porte au nez ». La deuxième personne est une hôtesse qui lui a donné « trois bouts de pain, quand dans sa vie il faisait faim ». Elle aussi « lui a donné du feu quand les croquantes et les croquants s’amusaient à le voir jeuner ». Le troisième, enfin, est un étranger qui d’un air malheureux lui a souri « quand les gendarmes l’ont pris ».

 

Souvent interprété dans un sens misérabiliste et un tantinet désuet, la Chanson pour l’Auvergnat évoque, bien au contraire, l’idéal de solidarité dont Brassens a bien des égards rêvait. Ce n’est pas un appel à la charité, ni une chanson culpabilisatrice, mais une sorte d’hymne à l’entraide, notion fort développée dans les milieux libertaires auxquels Brassens appartenait. C’est aussi la preuve, par le recours à des exemples simples, que la défiance n’est pas la seule norme de comportement social possible. L’auvergnat, comme l’hôtesse et l’étranger agissent sans forcément attendre quelque chose en retour. Ils donnent un peu de ce qu’ils ont. Un peu de ce superflu qui peut être beaucoup pour les autres. C’est l’exemple aussi d’une entraide ordinaire, basique, qui ne passe ni par des associations gigantesques, ni par un système d’Etat omnipotent.

 

Le coup de main est donné directement, d’individu à individu, sans que soient mobilisés les grands mots, ni les grands sentiments et pourtant ils ne sont pas absents. Le premier d’entre eux, l’empathie, que Schopenhauer appelait la « pitié » et dont il faisait, sans condescendance, dans Le Monde comme volonté et comme représentation, le fond de toute morale authentique, est au cœur du message porté par la chanson. « La vertu naît de l’intuition de l’identité de la volonté en moi et en autrui. (…) Toute bonne volonté est au fond pitié ». L’empathie, le fait de se sentir à l’unisson, en compréhension intime avec le sort ou l’état dans lequel se trouve l’autre personne est évidemment la clé de la morale altruiste. C’est le secret de la chanson de Brassens. Si l’auvergnat aide le narrateur c’est parce qu’il se sent en empathie avec lui, de même pour l’hôtesse ou l’étranger.

 

Ce qu’il faut favoriser donc, si nous voulons sortir par le haut de la crise du covid-19, c’est l’antithèse de la morale gouvernementale, cette morale de la défiance, de la division, de la surveillance numérique généralisée, du « fascisme 2.0 » qui tient le peuple pour un ennemi, une « grosse bête » comme disait Platon, un « gros animal » à domestiquer, à faire entrer dans sa cage. N’était-il pas question récemment de « chevaucher le Tigre » pour Emmanuel Macron ? Mais, dans son idée, le « Tigre » ce n’est pas le virus, c’est le peuple. C’est du peuple qu’il se défie. C’est le peuple qu’il craint. C’est encore le peuple qu’il veut dompter avec l’arsenal de ses lois liberticides et ses gadgets numériques, destinés à contrôler les foules et à empêcher les individus de parler. Coriolan, le héros de la pièce éponyme de Shakespeare, haïssait son peuple. Il voulait en découdre définitivement avec lui. Malgré la distance des siècles on peut s’apercevoir que ce type de réaction, cette haine des patriciens pour les plébéiens, n’a pas fini de sévir. Elle est encore vivace.

 

Pourtant cette morale de la défiance des élites, la morale de Macron, la morale de Jacques Attali, la morale de Coriolan, c’est celle dont nous ne voulons plus. Assez de mépris de classe, assez de prétention, assez d’attitude jupitérienne pour tous ces dirigeants incapables, qui ont tant failli pendant la crise du covid-19. Qu’ils partent ! Leur place n’est plus dans ce pays. Comme Coriolan d’ailleurs – qui proposait ni plus ni moins que de trahir et de sacrifier son peuple à l’ennemi –, leur attitude est absolument impardonnable. Jamais la confiance ne pourra être rebâtie dans un tel contexte de défiance généralisée. L’avenir est aux hommes de confiance, à ceux, par exemple, qui sauront réconcilier le peuple et les intellectuels ou le peuple et la politique. A ceux qui comme le professeur Raoult oseront défier les autorités technocratiques incompétentes pour soigner les gens, tout simplement, pour les protéger, plutôt que pour les exposer à tous les vents de la mondialisation, à toutes les désarticulations sociales, à toutes les pandémies, à toutes les formes de chaos possibles et imaginables.

 

Ce qu’il faut donc favoriser, pour contenir le « risque systémique » au plan économique, c’est cette morale de l’entraide dont a parlé Kropotkine dans L’Ethique. C’est elle qui est la clé du redémarrage économique, non les technocrates de Bercy qui ont ruiné la France. C’est également celle à laquelle pensait Elisée Reclus, qui sans nul doute a inspiré le pensée de Brassens avec sa célèbre Histoire d’un ruisseau : «  Quand la science sera faite et que l’homme, sachant parfaitement quel doit être son genre de vie, saura en outre quelles eaux, quelle atmosphère conviennent à la guérison de ses maux, alors nous pourrons jouir de la plénitude de nos jours et prolonger notre existence jusqu’au terme naturel, pourvu que notre état social ne soit pas toujours de nous entre-haïr et de nous entre-tuer ». La morale de l’entraide, de la confiance, celle de l’auvergnat, contre la morale égoïste de la défiance, celle du gouvernement, tout simplement.

 

Michael Paraire 20/05/2020

 

Notes

 

1 – Bien sûr cette société de la confiance que nous appelons de nos vœux ne peut être la société de la confiance absolue ou de l’insouciance. Il faut fonder la confiance sur les moyens d’assurer la confiance, c’est-à-dire, dans le cas qui nous occupe, sur une politique de protection de la population que le gouvernement a refusé de mettre en place : tester massivement, isoler les personnes à risques, soigner les malades. Enfin il convient de distribuer massivement et gratuitement des masques à la population notamment en période de pandémie.

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