Le Covid-19 et le secret du Petit Prince
Il y a quelque chose de touchant dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry. Cela tient-il à la langue, très aérienne, de Saint-Ex, ou bien encore à la légèreté de l’histoire ? Difficile à dire… en le relisant on a le sentiment de revenir en enfance, de retrouver une forme d’émerveillement ou d’étonnement devant le monde. Or l’étonnement a dit Aristote, c’est le début de la philosophie. Qu’y a-t-il donc de philosophique dans ce conte ? Quel est son secret ? Quelle leçon universelle contient-il ? Et puis, pourquoi devrait-il nous donner une leçon ? Après tout, la meilleure de toutes leçons n’est-elle pas qu’il n’y a pas de leçon ? C’est parfois ce que l’on se dit en relisant ce récit si surprenant, un peu absurde en apparence, écrit par un pionnier de l’aéropostale qui avait, semble-t-il, gardé une âme d’enfant.
Mais Le Petit Prince est plus qu’une simple nostalgie de la jeunesse enfantine c’est aussi le roman d’apprentissage de l’enfance, comme Les Illusions perdues de Balzac est celui de l’âge adulte. Or, précisément, au-delà de la nostalgie de l’enfance, des premiers balbutiements, des premières interrogations devant le monde, il nous semble qu’il y a une leçon du Petit Prince, ce que l’on pourrait appeler une leçon de vie. Cette leçon est administrée au petit prince à travers les rencontres qu’il fait en quittant sa planète, l’astéroïde B612, composé de deux volcans et d’une fleur, pour partir à la découverte de la Terre. Chemin faisant il rencontre des personnages étonnants : un roi, un vaniteux, un alcoolique, un businessman, un allumeur de réverbères, un géographe. Reproduisons donc ce chemin initiatique et voyons ce qu’il peut nous apprendre, sur nous et sur les personnes qui nous entourent, particulièrement sur celles qui nous dirigent.
Le petit prince et le roi absolu
Ainsi le petit prince, parti en voyage interplanétaire commence-t-il par rencontrer un roi d’un type un peu particulier, un roi absolu, « vêtu de pourpre et d’hermine », trônant seul sur sa planète, à la fois « simple et majestueux ». Bien sûr c’est un roi autoritaire, comme tous les rois. Lorsque le petit prince se met à bailler, il le lui interdit car cela est contraire à l’étiquette. Puis, l’enfant ne pouvant s’empêcher de bailler, le monarque lui ordonne de bailler. Un roi ne peut pas se tromper, il a nécessairement raison. Il ne se peut pas que ce qu’il ordonne ne soit pas exécuté. Aussi dit-il au petit prince : « Alors je… je t’ordonne tantôt de bailler et tantôt de… il bredouillait un peu et paraissait vexé ». Cela ne vous rappelle pas quelqu’un ? Le « et en même temps » d’Emmanuel Macron a pourtant quelque chose à voir avec la volonté puérile de ce monarque imaginaire, avec ses décisions absurdes, qui veut et ne veut pas « en même temps », pourvu que cela corresponde à l’image qu’il a de sa propre autorité. Passons à la deuxième planète
Le petit prince et le vaniteux
Sur la seconde planète se trouve un « vaniteux ». Aussitôt que l’enfant stellaire arrive ce dernier le prend pour un admirateur « car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des admirateurs ». Le chapeau du vaniteux a pour fonction de saluer, surtout lorsqu’on l’acclame. Il remarque cependant avec dépit qu’ « il ne passe jamais personne par ici ». Ainsi est-il trop peu acclamé à son goût. Qu’a-t-il fait pour mériter ces louanges ? Rien. Pourtant il n’hésite pas à ordonner au petit prince de frapper dans ses mains. Il peut alors « saluer en soulevant son chapeau ». Lassé de la monotonie du jeu le petit prince demande alors ce qu’il faut faire « pour que le chapeau tombe ». Et la sentence tombe, définitive : « Mais le vaniteux ne l’entendit pas. Les vaniteux n’entendent que les louanges ». Là aussi, cette manière de ne rien entendre d’autre que les louanges qu’on ne mérite pas, cela ne vous rappelle personne ? On a vu beaucoup de discours présidentiels tourner récemment à l’auto-flagornerie, l’auto-satisfecit – le Grand débat en fut la preuve – et malheur à ceux qui n’applaudissent pas en cadence. Pour eux il y a du LBD40 dans les soutes, dans la cale, pas du « jambon » ni du « fromage ». Passons à la troisième planète.
Le petit prince et le buveur
Sur cette troisième planète, plus petite, semble-t-il, que les précédentes – on est loin d’ailleurs des grandes planètes du système solaire mais plutôt, dans le récit de Saint-Exupéry, sur des astéroïdes – se trouve un buveur. Triste, mélancolique, lugubre, le buveur contemple ses bouteilles vides et ses bouteilles pleines. Mais il est victime d’un mal affreux celui de la contradiction permanente. Lorsque le petit prince lui demande pourquoi il boit, ce dernier lui répond « pour oublier que j’ai honte ». Mais « honte de quoi ? » demande le petit prince et bien « honte de boire » rétorque le buveur. Le petit prince n’en saura pas plus. Il devra se contenter de remarquer que « les grandes personnes sont décidément très très bizarres ». Ce buveur qui boit sa honte, qui contemple ses bouteilles à moitié vides, à moitié pleines ça ne vous rappelle rien ? C’est pourtant toute honte bue qu’Edouard Philippe, Sibeth Ndyaye, Olivier Véran et Jérôme Salomon nous régalent quotidiennement de leurs discours mensongers, à la télévision, depuis deux mois. Passons à la quatrième planète.
Le petit prince et le businessman
Sur la quatrième planète se trouve un businessman, un homme « sérieux », « occupé » à compter des choses importantes, brillantes, qu’il croit posséder : les étoiles. Ces étoiles qui sont comme des pièces d’or. Le petit prince, d’ailleurs, dérange l’homme par ses questions. « Cinq cent millions de quoi ? » demande l’enfant stellaire, « cinq cent millions de.. je ne sais plus… j’ai tellement de travail ». Oui, tellement de travail… et surtout quelle idée de déranger un homme aussi occupé, dont la tâche est si importante ? Cette impression bizarre que l’on a de toujours déranger les personnes puissantes, qui sont pourtant occupées à des choses très futiles, voire inutiles… Et cette idée d’arriver comme un cheveu sur la soupe, au mauvais moment – d’ailleurs y-a-t-il jamais un bon moment pour déranger les puissants – ça ne vous dit pas quelque chose ? Voilà qui justifie assurément tous les courroux, toutes les colères de nos dirigeants, les gilets jaunes en ont assez fait les frais. Passons à la cinquième planète.
le petit prince et l’allumeur de réverbères
Cette cinquième planète est la plus petite de toutes mais ce n’est pas la moins originale. On y trouve un « allumeur de réverbères ». L’homme est occupé à allumer et à éteindre son réverbère car il n’y en a qu’un seul, deux fois par jour. Mais la durée de la journée n’a cessé de s’accélérer, aussi la planète faisant un tour sur elle-même par minute, l’allumeur de réverbères n’a plus une seconde de repos. Mais bon, il faut bien obéir à la consigne. « C’est la consigne » est le maître mot de l’allumeur de réverbères. Obéir à la consigne sans discuter, même lorsqu’elle est absurde, n’est-ce pas l’un des maîtres mots de notre système ? Si la consigne, par exemple, est qu’il ne faut pas soigner les malades, ou bien seulement avec un doliprane, alors qui osera refuser la consigne ? Il faut avoir conservé une âme d’enfant, un peu comme le professeur Raoult, pour déroger à la consigne. Passons à la sixième planète.
Le petit prince et le géographe
Sur cette sixième planète se trouve un érudit, « un vieux monsieur » qui travaille à la rédaction d’un grand livre : c’est un géographe. Mais c’est un géographe d’un type un peu particulier. Il ne se déplace pas, il n’étudie pas le terrain, il reste cloitré dans son bureau et il juge les autres, les « explorateurs ». C’est le type même du technocrate, du bureaucrate contemporain. Aux questions du petit prince sur la géographie de sa planète, sur ses montagnes, sur ses fleuves, il répond inlassablement « je ne puis pas le savoir ». Comment le pourrait-il en effet, il n’est jamais allé sur place. « Il ne quitte pas son bureau » mais il reçoit les explorateurs et si ces informations l’intéressent alors il « fait faire une enquête sur la moralité de l’explorateur ». On a fait beaucoup d’enquête de moralité ces derniers temps – à l’abri de murs bureaucratiques capitonnés, dans les medias bien pensants – sur des chercheurs comme le professeur Didier Raoult, par exemple. Passons à la septième planète
La Terre et le secret du petit prince
Cette septième planète c’est la Terre. Sur cette planète qui, nous dit Saint-Ex, n’est pas « quelconque » – avec ses « cent onze rois », ces « sept mille géographes », ses « neuf cent mille businessmen », ses « sept millions et demi d’ivrognes », ses « trois cent onze millions de vaniteux », bref ses « deux milliards de grandes personnes » – le petit prince va prendre et donner sa grande leçon de choses. C’est là qu’il va révéler le grand secret. Quel est-il ? C’est celui qu’énonce le renard : « Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Apprendre à voir, avec le cœur, ce qu’il y a derrière le discours des gouvernants absolutistes et vaniteux, ceux qui boivent leur honte, ceux qui appliquent les consignes sans réfléchir, ceux qui croient posséder les étoiles, ceux qui jugent les hommes de terrain, c’est la première leçon de vie du petit prince.
Il y en a aussi une deuxième : « ne pas avoir peur ». Ne pas avoir peur de ces adultes qui font n’importe quoi, qui donnent des ordres contradictoires, qui veulent se faire applaudir alors qu’ils ne font rien, qui appliquent des consignes sans réfléchir, qui contemplent des bouteilles à moitié vides, à moitié pleines, qui comptent les étoiles comme on compte des pièces d’or, qui déclenchent des enquêtes de moralité sur des chercheurs authentiques. Telle est la deuxième leçon du Petit prince, cet étonnant roman d’apprentissage de l’enfance, ce drôle de conte philosophique.
Ne plus avoir pas peur
Il faut beaucoup de courage pour ne pas avoir peur. Ce n’est pas évident. Surtout lorsque le pouvoir, l’argent, la bureaucratie sont de l’autre côté du manche, mais c’est possible. Lorsque le petit prince meurt, il n’a pas peur. Apprenons donc à ne plus avoir peur, peur de parler, peur d’agir, peur de nous confronter à tous les responsables qui ont échoué, pendant la crise du covid-19. La plus belle phrase du Petit prince ce n’est donc pas la plus connue « Dessine-moi un mouton », mais celle-ci « Ce qui est important ça ne se voit pas » et puis ce petit dialogue entre le narrateur et l’enfant stellaire : « – Petit bonhomme, tu as eu peur… Il avait eu peur bien sûr ! Mais il rit doucement : – J’aurai bien plus peur ce soir… »
Michael Paraire 12/05/2020
