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Un quart d'heure avec le penseur
13 avril 2020

La Crise du coronavirus, une crise de la gouvernance mondiale

Bonne « Gouvernance », Gouvernement Global, Image Gouvernement mondialGouvernement fédéral mondial, tels sont les concepts clés de l’idéologie politique moderne à l’heure de la globalisation néolibérale. Elaboré dans le cadre historique de l’après seconde guerre mondiale, le concept d’Etat mondial s’est peu à peu matérialisé, à travers un ensemble d’institutions économiques, mais aussi politiques et sanitaires, destinées à construire une planète à visage humain, sans guerre, sans crise économique, sans pandémie. L’ONU, le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC, L’OMS, l’Europe de Maastricht sont autant d’étapes dans la construction du gouvernement mondial présenté comme la panacée à tous nos maux.

Largement défendu par la cohorte des intellectuels et des philosophes modernes, ce projet qui n’est nullement caché, mais au contraire abondamment développé dans les lieux de réflexion liés aux « appareils idéologiques d’Etat », les grandes écoles, les universités – trouve avec la crise du coronavirus, son juge de paix, son expérience cruciale. Ceci nous amène donc à nous poser trois questions fondamentales : Que signifie exactement le concept de « Global Government » ou de « Global governance » ? En quoi la pandémie du covid 19 révèle-t-elle la faillite de cette conception néo-libérale de la mondialisation ? Quelle est la véritable échelle de résolution de nos problèmes économiques, sociaux et sanitaires ?

Le Gouvernement mondial, une idée néolibérale

On entend souvent dire que la mondialisation est un processus antiétatique, destiné à donner les coudées franche aux marchés et à ses différents acteurs, « traders », « hedge funds » et autres multinationales surpuissantes. Or si cela est parfaitement vrai du point de vue du fonctionnement de la logique financière mondiale qui a besoin de voir s’abaisser les frontières, les normes et autres protections nationales, pour réaliser des bénéfices colossaux, cela n’empêche pas les décideurs mondiaux de rêver à un Etat mondial fort. Libertariens dans leur conception de la vie privée ou du fonctionnement de l’économie-monde, les acteurs de l’économie mondiale, businessmen et autres milliardaires de la finance comme des nouvelles technologies, sont favorables à un Etat régulateur mondial destiné, selon eux, à éviter les crises à répétition du « système » de la mondialisation.

Comme toujours donc dans le libéralisme, les acteurs sont à la fois favorables à une initiative privée débridée source de grands profits et à un Etat régalien fort permettant aux acteurs du marché de donner toute leur mesure, dans le « calme » et la « prospérité » retrouvés. Mais, contrairement au XIXeme siècle ou l’Etat-nation incarnait ce pouvoir fort appelé de ses vœux par un théoricien du libéralisme comme Benjamin Constant (1767-1830), c’est aujourd’hui l’Etat mondial que les représentants du marché mondial veulent voir advenir. Mélangeant habillement prédictions catastrophistes, voire apocalyptiques et appels mondiaux à des lendemains qui chantent, ils nous présentent l’Etat global, le « Global government » comme la seule solution efficace à tous nos maux.

A l’occasion de la terrible pandémie du Covid-19 on sort donc du chapeau libéral toutes les « prévisions » et autres « réflexions » opérées par les tenants de l’économie-monde : une conférence TED, prononcée par Bill Gates où ce dernier explique que « nous ne sommes pas prêts face à une nouvelle pandémie », un rappel sur les derniers ouvrages de futurologie de Jacques Attali, par exemple La Crise et après ?, où le Mentor d’Emmanuel Macron s’inquiète d’une possible épidémie mondiale à venir. Or qui dit épidémie mondiale dit réponse mondiale, celle-ci induisant naturellement un outil mondial pour organiser la lutte : l’Etat mondial contre le virus. Comme le dit Georges Soros, trader néolibéral bien connu et directeur de la très influente Open society foundation : « La mondialisation ne peut pas être condamnée en lieu et place des mauvais gouvernements ». C’est donc à une forme nouvelle d’Etat, suprational, qu’il faut faire confiance. Au passage Soros se permet même de proposer une réforme du FMI et de la Banque mondiale afin d’y incorporer « un mécanisme favorisant le développement multilatéral de l’assistance et des biens communs sur une échelle globale »1. Sans rire !

La crise du Covid-19, une crise de la mondialisation

Mais on n’a d’autant moins envie de rire que la pandémie du covid-19 nous révèle les très profondes failles liées au système de la mondialisation. Contrairement à ce que nous dit Georges Soros, et à ce que bien d’autres intellectuels stipendiés affirment avec lui, c’est bien à la mondialisation que la crise est directement imputable. D’abord parce que le système mondialisé, reposant sur une interconnexion et une interdépendance accrue de tous les Etats, nous nous apercevons, qu’un grain de sable, introduit à l’autre bout de la planète, en l’occurrence en Chine, d’où est parti le virus, conduit au blocage de l’ensemble de l’économie du monde. A l’heure où ces lignes sont écrites plusieurs milliards d’individus sont confinés sur l’ensemble de la planète, contraints de rester chez eux. « Stay at home comme disent les anglais ». Ensuite parce que ce ne sont pas simplement les « mauvais gouvernements » qui sont responsables de la pandémie, mais les mauvais gouvernants en tant qu’ils se sont convertis à l’idéologie de la mondialisation et à ses pratiques économiques dérégulatrices, destructrices, « sans foi ni loi ».

Si le gouvernement chinois a menti, s’il a tardé à réagir, s’il a caché la gravité de la pandémie, c’est parce qu’il n’a pas voulu perdre les gros bénéfices réalisés sur le marché mondial, à court terme. Ce n’est pas parce qu’il est « en soi et pour soi », comme le pense Soros, un « mauvais gouvernement ». Si le gouvernement français, par la voix de son président, Emmanuel Macron, s’est refusé à contrôler les aéroports ou les frontières nationales, dès le début de l’épidémie, c’est parce qu’elles sont autant de barrières dressées contre la liberté des flux de marchandises, saint graal de la mondialisation. De même si Boris Johnson a tant fanfaronné au début de la crise et refusé de confiner la population anglaise, pour finir par se retrouver lui-même, à l’hôpital, en service de « soins intensifs », c’est parce qu’il n’a pas voulu freiner le « business ». On pourrait en dire autant des gouvernants espagnols, italiens, américains ou brésiliens, dont les orientations pro-business coûtent si cher, en terme de vie humaine, à leurs populations respectives.

Enfin la crise du covid-19 se révèle être une crise de la mondialisation à travers les institutions de l’Etat Mondial en gestation – ce que Marx aurait appelé la « superstructure » de la globalisation. Quel a donc été le rôle de l’OMS dans la gestion de la pandémie ? Cette organisation mondiale a minimisé la crise, donnant des informations contradictoires aux différents pays, allant même jusqu’à déconseiller le contrôle aux frontières, idéologie mondialiste oblige – ce qui a sans doute empêché que des décisions plus fortes ne soient prises par certains dirigeants.

Quel a été le rôle de l’Europe de Maastricht, élève appliqué de la mondialisation, présentée depuis des décennies, alors qu’elle nous ruine, comme une institution protectrice ? Incapable de la moindre solidarité, elle aura abandonné l’un de ses membres – l’Italie – face à la pandémie, révélant par là même son incurie totale. Et que proposent aujourd’hui le FMI et de la Banque mondiale, institutions modèles de la « bonne gouvernance » financière – dont le rôle comptable n’a consisté jusqu’ici qu’à veiller à ce que soient scrupuleusement appliqués des « plans d’ajustement structurels » qui ruinent les Etats depuis des décennies – faisant disparaître du même coup les 69000 lits d’hôpitaux qui auraient été si utiles, en France, en période de crise du coronavirus ? Rien d’autre que la continuation des anciennes politiques néolibérales de destruction de nos infrastructures.

On voit mal dès lors comment il serait possible de s’accorder avec Bill Gates qui lors de sa conférence TED conclut à la nécessité de construire un « système de gouvernance mondial de la santé » ou avec Jacques Attali et ses rêves de Gouvernement du monde. Ce dont nous avons besoin ce n’est pas de plus de mondialisation, de plus d’Etat global, mais de plus de souveraineté locale et d’intérêt général.

Gouvernance globale ou action locale

En sortie de crise ce ne sont donc pas les chantres du gouvernement mondial, ni les bardes de la gouvernance mondiale, les Jacques Attali et les Bill Gates, qu’il faudra écouter mais ceux qui proposent des solutions ordonnées, efficaces, « à l’échelle humaine », comme le disait Léon Blum. On s’aperçoit, en effet, que tous les projets mégalomaniaques liés à la mondialisation n’auront fait que précipiter la crise. Or, s’il est souhaitable de penser global – car il n’y a aucune raison de ne pas s’entretenir de l’état du monde – il faut être capable d’agir au niveau local concret. C’est à l’échelle de la commune, intelligemment articulé à l’échelon national – que doivent être traités les problèmes de l’épidémie et non à une échelle pseudo-mondiale, inatteignable et finalement destructrice de l’avenir de nos sociétés modernes. Dans les années 70 les écologistes américains avaient l’habitude de dire « think global, act local », « pensez globalement mais agissez localement ». Il nous semble que c’est dans cette direction qu’il faut désormais réfléchir, travailler, réorienter l’économie et la politique.

Au lieu de se lancer dans de vastes plans sur la comète, c’est sur l’économie et la politique concrètes, locales ou relocalisées qu’il faut s’appuyer. La pandémie du Covid-19 est l’occasion de revenir aux fondamentaux, de remettre les pieds sur terre, de quitter le ciel des mirages de la « mondialisation ». Elle peut nous permettre de redevenir collectivement, en tant que peuple mais aussi au niveau individuel, les maîtres de notre destin. Moins de produits venus de Chine et plus de produits « made in France », moins d’habits faits par des enfants à l’autre bout du monde et plus d’industrie de tissage française pour produire les masques dont nous avons besoin, moins de circuits longs, plus de circuits courts, moins d’économie mondiale, plus d’économie locale : c’est le seul chemin viable pour sortir de la crise sanitaire mais aussi de la crise économique qui s’ouvre devant nous.

Moins, aussi, d’Etat mondial, plus d’Etat local, moins d’Etat fédéral, décentralisé, plus d’Etat communal recentralisé, voilà le chemin, le programme, la carte à suivre. Qui ne voit qu’à l’heure où le pays est paralysé, ce sont les fonctionnaires nationaux et communaux, – ces êtres honnis par le néolibéralisme – qui tiennent, avec « ceux qui ne sont rien », le pays à bout de bras ? Pour vaincre le virus à qui faut-il faire confiance ? A des bureaucrates distants, perdus dans des lieux de pouvoirs invisibles, intouchables, inatteignables ? A des technocrates convertis au mondialisme, incapables de contrôler une frontière ? Ou à des hommes proches du terrain qui luttent au quotidien contre la pandémie ? Qui doit-on suivre : un président incapable, un expert bureaucratisé ou un maire, un médecin « responsable », qui a fait ses preuves et qui sait agir au plan local ? Emmanuel Macron ou Didier Raoult ?

Sous ce rapport on peut dire que tout ce qui s’est fait en matière de « bonne gouvernance » en France dans les trente dernières années n’aura fait que favoriser la catastrophe : dilution de la souveraineté nationale au profit d’une structure supranationale, l’Europe, à la fois dictatoriale, impuissante et destructrice ; multiplication des hiérarchies de pouvoir, des niveaux politiques, – (conseils régionaux, généraux et j’en passe) et donc des féodalités, – dénoncées , il y a bien longtemps par Proudhon –, au détriment de l’efficacité publique ; diminution du rôle de la puissance publique garante de l’intérêt général au profit d’intérêts privés obnubilés par la rentabilité économique à court terme.

La récente intervention dans les pages du Monde d’un ancien directeur général de la santé – qui a eu lui-même à faire face à une très grave crise sanitaire en 2003 – nous révèle d’ailleurs à quel point nous avons fait fausse route. Analysant la situation de la lutte face au coronavirus, William Dab conclut que le défaut d’organisation de l’Etat français pourrait conduire à la défaite face au virus. Après toutes ces années de « laisser faire, laisser aller », de néolibéralisme mâtiné de mondialisme, d’illusion européistes, l’Etat français géré en fonction des normes de la « bonne gouvernance » n’est plus qu’un canard sans tête, dirigé par des canards qui ne semblent plus en avoir beaucoup non plus.

Gouvernement mondial et aliénation

Dès lors tous les dysfonctionnements s’expliquent : on manque de masques et de tests mais on les envoie en Chine dès le début de la pandémie, on refuse de fermer les frontières nationales, mais on prétend fermer celle de Schengen, on doute, malgré de multiples appels dans l’opinion publique, de la gravité de la pandémie jusqu’à ce que l’OMS finisse par tenir un discours alarmiste, on dispose d’une entreprise capable de produire de la chloroquine (Famar) mais on refuse de la nationaliser, idem pour la société de production de bouteilles à oxygène (Luxfer), on discoure donc sur la guerre contre le virus mais on ne prend aucune décision relevant de l’économie de guerre. Voilà les résultats de l’idéologie du « Gouvernement mondial » appliqué à la politique réelle : la paralysie politique.

De nombreux français se posent donc la question suivante : sommes-nous dirigés par des fous, des incompétents, des aliénés mentaux ? En réalité, si nos dirigeants sont aliénés c’est au sens feuerbachien du concept philosophique d’aliénation. Dans L’Essence du christianisme le philosophe matérialiste allemand Feuerbach (1804-1872) explique que la relation de l’homme à Dieu relève de l’aliénation au sens suivant : plus Dieu est grand, plus l’homme est petit, plus Dieu est savant, plus le fidèle est ignorant, plus Dieu est puissant, plus le croyant est impuissant. En transférant toutes ses qualités dans la figure de Dieu, l’homme s’en dépossède. Il aliène toutes ses qualités qu’il projette dans une figure imaginaire, la figure de Dieu. Il aliène aussi sa conscience, la conscience de Dieu étant « la conscience inversée de soi de l’homme ». C’est le mécanisme de l’aliénation en Dieu qui consiste en un rapport inversement proportionnel entre la personne humaine et la figure divine.

Or, il suffit de remplacer Dieu par « Gouvernement global » dans l’équation et l’on comprend immédiatement ce qui se passe dans la tête et la pratique de nos dirigeants. La conscience du « Gouvernement mondial » est devenue la conscience de soi, l’image inversée, comme en miroir, des dirigeants politiques contemporains. Plus les institutions du Gouvernement mondial progressent plus les gouvernants des Etats-nations régressent. Plus la « Gouvernance mondiale » est puissante, plus les gouvernements réels que ce soit au niveau local ou national se révèlent impuissants. Plus les instances mondiales sont considérées comme savantes et plus les dirigeants se pensent eux-mêmes comme ignorants. Ils attendent la parole, le discours du nouveau Dieu, de la nouvelle idole, du « Global government » qui va leur délivrer la vérité. Ils ne jurent que par les gourous du futur qui leur ont vanté cette vérité supérieure. Et si cette vérité ne vient pas, si elle vient avec retard, si la vérité politique mondiale est « just too late » alors tant pis : les gouvernements réels prendront eux-mêmes du retard, voire ne prendront pas de décision du tout et il y aura des morts. C’est exactement ce qui se passe dans l’affaire du coronavirus.

Sortir de l’aliénation du « Gouvernement mondial »

L’aliénation est donc au cœur du problème politique contemporain mais ce n’est pas l’aliénation au sens psychiatrique, c’est l’aliénation au sens philosophique de la dépossession de soi, de l’inversion spéculaire de la conscience de soi de l’homme, du citoyen, du dirigeant. Nos pseudo-leaders projettent leur conscience aliénée dans une chimère destructrice, le « Gouvernement mondial ». En créant des instances mondiales supranationales les pays, les Etats se sont donc placés dans une logique de déresponsabilisation. Désormais les mauvais décideurs, – les « mauvais bergers » aurait dit Octave Mirbeau –, attendent tout des informations qui viennent « d’en haut ». L’idéal, l’utopie néolibérale du « Gouvernement global » chers à Attali et à Soros les paralysent. Ils y croient comme d’autres ont cru, en d’autres temps, avec la foi du charbonnier, à la « Bonne Nouvelle ». Telle est le dogme de la « bonne gouvernance » des dirigeants modernes.

Mais leur idéal se révèle sectaire, fanatique, meurtrier. Il faut d’urgence, comme l’avait vu Feuerbach, remettre la conscience des citoyens et de leurs représentants sur pieds. Il faut cesser de marcher sur la tête, de regarder le monde à travers le concept de « Gouvernance mondiale ». Il faut en finir définitivement avec la religion de « l’Etat mondial » pour revenir à la terre ferme, retrouver l’échelon d’action local républicain et le sens de l’action politique concrète, efficace, juste. Moins d’ « Etat global », plus d’ « Etat local », proche des gens, sans quoi, comme l’a dit l’ancien directeur de la santé, nous perdrons la « guerre » contre le virus. Et ce ne sera pas beau à voir.

1. Simon Sweeney, Europe, the State and Globalisation, 2005

Michael Paraire 12/04/2020

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